L’essentiel de l’activité de nos compagnies d’experts tourne autour de la formation, qu’elle soit des experts nouvellement venus ou de la formation continue de nos experts les plus expérimentés. La réinscription même de nos experts auprès des cours d’appel nécessite l’existence et la certification des formations généralement organisées par nos compagnies ou par des regroupements de compagnies comme par exemple l’UCECAAP dans le sud de la France.

Est-ce seulement pour assurer la formation première ou continue de l’expert que la formation nous apparait-elle si nécessaire ?

A l’origine

Les experts sont des professionnels, formés, compétents, reconnus, expérimentés, qui ont été choisis par leurs pairs et qui ont choisi de mettre l’ensemble de ces qualités au service de la manifestation de la vérité technique pour la justice. Et, pour être plus complet, qui ont souhaité se mettre à la disposition de la manifestation de la justice. Car c’est bien chacun d’entre nous, qui avons un jour demandé notre inscription sur la liste de nos cours d’appel. Personne ne nous y a forcé et, pour y parvenir, malgré la grande étendue de nos compétences professionnelles, nous devrions tous avoir suivi une formation à la technique de l’expertise. Cette formation première nous apparait parfaitement nécessaire et notre inscription sur les listes devraient y être conditionnée Si c’est le cas dans certaines cours d’appel, nous pouvons citer celle d’Aix en Provence par exemple, ce n’est pas le cas partout et la pratique de l’obligation d’une formation première à l’expertise avant toute inscription devrait tendre à se généraliser.

La formation première 

Cette formation, qui nous a fait passer du stade du professionnel compétent et expérimenté au stade d’expert, ne nous est pas toujours apparue nécessaire, et a été quelques fois ressentie comme fastidieuse à certains d’entre nous. Ensuite, nous en avons ressenti l’intérêt dès notre première nomination dans une expertise, essentiellement d’ailleurs par l’insuffisance du contenu de cette formation, ou plus précisément par le fait que nous n’avons pas toujours parfaitement assimilé toutes les informations qui nous ont été transmises dans le cadre de ces formations. Rappelons que ces formations sont souvent organisées dans le cadre de nos compagnies, par des experts, des juges et des avocats, mais sont dispensées à des élèves postulants qui n’ont pas encore la pleine mesure de ce que sera la fonction d’expert.

Cette formation première, absolument indispensable à la création de l’expert dans sa fonction, nécessite donc d’être accompagnée et prolongée. Accompagnée, par le tutorat et l’accompagnement d’un confrère expérimenté dans un rôle de tuteur, disposition là encore de plus en plus généralisée dans nos compagnies professionnelles d’experts. Prolongée, par la nécessaire formation continue que nous devons avoir au fur et à mesure de notre évolution dans la fonction et vraisemblablement utile jusqu’à la fin de notre carrière. Il est bien évident que, même si les codes de procédure sont d’une grande stabilité, les pratiques évoluent et des cas particuliers se présentent si souvent à l’expert qu’il a grand intérêt à continuer sa formation auprès de ses confrères.

La formation première n’est donc que le début d’un long parcours d’évolution de l’expert, celui qui permet l’accès au statut et qui transforme le professionnel en un expert judiciaire débutant. La formation  continue qui va suivre sera donc déterminante.

La formation classique

Nous venons de voir que la formation continue va jalonner toute la carrière de l’expert sans interruption : pour adapter, bien sûr, la pratique aux éventuelles évolutions des codes de procédure qui régissent nos fonctions, mais nous avons vu que la grande stabilité de ceux-ci n’est pas le moteur premier de la nécessité de formation. La formation continue de l’expert est donc une permanente mise en relation entre l’expérience de l’expert et l’expérience de ses pairs, ainsi que l’échange avec les magistrats sur leurs besoins en matière d’expertise, mais également l’échange d’idées avec les avocats, partenaires essentiels à la conduite de l’expertise.

La formation continue de l’expert est donc un échange de pratiques et la diffusion de cas particuliers à l’ensemble des membres d’une compagnie.

Mais c’est aussi un moment privilégié de rencontres entre des professionnels tous parfaitement expérimentés dans leur spécialité, mais qui remplissent occasionnellement une fonction pour laquelle ils rencontrent bien souvent des difficultés, difficultés qu’ils ont besoin de partager avec leurs confrères.

Cette formation continue est également un facteur de lien et de cohésion dans nos compagnies, mélangeant de façon harmonieuse des spécialistes aussi différents que les femmes et les hommes du chiffre, de la médecine, du BTP, de l’industrie ou de la traduction. Il est toujours enrichissant de se rendre compte que, même si l’expertise s’appuie sur des bases expérimentales très différentes, la pratique expertale se retrouve très commune à tous ces professionnels, et les problèmes rencontrés le sont également.

La formation continue de l’expert est aussi une obligation bien réelle, puisqu’elle est prévue dans le Code de Procédure Civile et qu’elle est demandée dans le dossier de renouvellement de l’expert, sans toutefois qu’aucun quantum ne soit exigé par les cours d’appel. Ce serait d’ailleurs probablement un facteur d’amélioration de notre corps que de règlementer et quantifier le volume et la qualité nécessaires au renouvèlement de l’inscription de l’expert sur les listes, d’autant plus que les formations continues sont souvent faites par nos compagnies. Mais cette formation continue, permanente et même obligatoire, si elle permet l’amélioration de la pratique et la cohésion de ce corps de professionnels, n’est pas encore suffisante pour le développement harmonieux de la compétence et de la qualité de l’expert. C’est d’ailleurs déjà le cas en procédure administrative et pour l’inscription sur les listes des cours administratives d’appel qui imposent un minimum de formation, définies lors d’un comité de pilotage du 29 novembre 2017*.

La formation professionnelle

A l’origine, l’expert est un professionnel réputé qualifié et compétent dans une spécialité. Il est parfaitement admis que ce professionnel doit également continuer à se former dans le cadre de ses compétences propres, les techniques évoluant et les experts devant rester en contact avec la réalité de leur spécialité. La formation technique professionnelle reste donc aussi une absolue nécessité de l’expert, même si nos organisations reconnaissent moins ces formations que celles sur les pratiques expertales. Il est bien évident que l’électricien formé dans les années soixante va devoir maintenir son niveau de compétence pour pouvoir intervenir sur des installations conçues et réalisées en 2020 ; cet exemple, choisi de façon très personnelle, peut bien évidemment s’appliquer à l’ensemble de nos spécialités.

Là encore, la formation pour le professionnel, outre sa mise à niveau de compétence, reste aussi un moyen de rester en contact avec des professionnels en activité, en rappelant que l’expert judiciaire a pu être inscrit à une époque où il exerçait encore une activité, ce qui est le cas général, mais qu’il est ensuite à la fin de son parcours en situation de retraité et quelques fois avec une activité professionnelle bien moins importante et donc des contacts professionnels plus limités.

Plus encore, rappelons que bien des professions impose un quota d’heure de formation par année (architectes, agents immobiliers, diagnostiqueurs…) comme le font les professions règlementées. Ce serait la aussi un facteur d’amélioration d’organiser la nécessaire formation professionnelle continue de l’expert dans sa spécialité.

Les difficultés de la formation

S’il est un point à mettre au crédit de la crise sanitaire, c’est que celle-ci nous a montré que nous pouvions faire beaucoup de chose à distance, en télétravail, en visioconférence, ce qui, reconnaissons-le, n’était pas dans nos pratiques le plus courantes. Cette crise, qui interdit presque totalement les formations en présentiel, n’interdit pas, loin s’en faut, la mise en place de formation à distance. La doxa gouvernementale qui nous demande de considérer le télétravail comme la norme, nous y a conduit. Nos compagnies ont adapté leurs programmes et nous pouvons maintenant continuer à participer à des formations à distance, en visioconférence, à des Webinars ; nous viendrons bientôt à la mise en place de podcasts, réalisés par nos formateurs, que nous pourrons suivre au moment qui convient le mieux à chacun d’entre nous.

Et si la formation reste bien la participation de l’apprenant à un cours, en présentiel ou à distance, n’oublions pas qu’il existe d’autres façon d’assurer sa formation. La lecture en est une, et celle de notre revue en est l’exemple parfait. La mise en œuvre de travaux pratiques organisées localement, à l’échelle de nos compagnies, en est une autre ; tout en rappelant que ces TP, organisé par un expert très expérimenté à l’usage des nouveaux arrivants, peut aussi aisément se faire par visioconférence. Et rappelons également que notre compagnie nationale, la CNCEJ, met à la disposition des compagnies adhérentes des modules de formation couvrant l’ensemble des connaissances à acquérir.

Que dire aussi de nos colloques, qui, quand ils peuvent se tenir, sont aussi un moment privilégié de formation globale, mais aussi d’échanges de connaissances individuelles entre les participants.

Reconnaissons que nous n’avons plus beaucoup d’excuses pour ne pas nous former.

L’intérêt réel de la formation

On pourrait imaginer que le professionnel de haut niveau, devenu expert expérimenté, a une aussi bonne connaissance technique qu’expertale et n’a probablement plus besoin de formation. Ce serait évidemment une erreur fondamentale que d’imaginer que la nature humaine peut se contenter des connaissances acquises, même si celles-ci apparaissent suffisantes à la pratique de l’activité concernée. Bien évidemment, la formation est, pour l’expert comme pour toute personne qui y participe, un moyen de s’ouvrir l’esprit par l’apprentissage, par la réflexion sur ses pratiques et par la simple agitation neuronale que celle-ci procure. Il est bien connu que l’apprentissage d’une langue difficile, ou, à un degré différent, que la pratique des sudoku, favorisant l’activité intellectuelle, améliorent la capacité de l’individu à vieillir. Pour ce qui nous concerne, la formation et l’apprentissage de nos pratiques expertales, l’amélioration de nos compétences techniques propres, nous inscrivent dans la tradition de compétence et de haut niveau de ceux qui nous ont précédés. La communication de formation est une possibilité, pour celui qui la reçoit, de maintenir la porte ouverte sur le passé d’une fonction et sur l’expérience de nos anciens. C’est une rencontre permanente, dynamique, active, qui maintient l’expert judiciaire en perpétuelle activité intellectuelle. Combien d’entre nous ont été surpris de voir ceux de nos confrères les plus expérimentés, quelquefois ceux inscrits sur la liste de la Cour de cassation, et qui participent régulièrement et avec la plus grande motivation à nos réunions de formation, alors qu’ils paraissent être les mieux formés et les plus compétents d’entre nous ? Plus encore, n’avons-nous pas été surpris, lors de nos premiers contacts avec la formation à l’expertise, de voir des experts anciens, expérimentés, quelquefois même âgés, qui donnent beaucoup de leur temps pour former les postulants et les futurs experts à la pratique, toujours de façon bénévole, désintéressée et très engagée ? C’est bien parce que ces femmes et ces hommes expérimentés ont compris que l’enseignement est aussi l’une des façons de progresser, quand la compétence est acquise, maîtrisée, et que l’on en possède la capacité de la délivrer à autrui. Enseigner, c’est progresser, car l’enseignant qui prépare son cours va également réfléchir à sa façon de pratiquer l’expertise, va enrichir son expérience pourtant grande des questions qui lui sont posées dans le cours de son enseignement, et va garder la même fraîcheur d’esprit que celle de ses étudiants.

L’expert expérimenté et formateur

Si la formation est au cœur des préoccupations de nos compagnies, c’est bien évidemment parce que la pérennité même de notre fonction en dépend. En effet, comment pourrait-on imaginer que l’expert judiciaire est celui qui, même après avoir fait des études très élevées et peut-être porteur d’un diplôme de haut niveau, après avoir été inscrit sur une liste, cesse totalement toute activité d’évolution pendant toutes les années durant lesquelles il remplira la fonction ? A l’évidence, les techniques évoluent, les professions évoluent, et la pratique de l’expertise doit également évoluer. Il en est de même de l’expert. Les fonctions qu’il remplit nécessitent une évolution permanente de sa compétence technique et de sa pratique expertale ; C’est la noblesse de notre fonction que de la faire évoluer avec les pratiques de son temps.

Mais allons plus loin. Puisque nous semblons convaincus que nous devons faire évoluer notre pratique et nos connaissances, n’est-ce pas aussi à nous, experts expérimentés de transmettre son haut niveau de pratique aux nouveaux venus dans la fonction ? Si nous admettons que le fait de recevoir une information permanente est un facteur de maintien en activité, nous devons admettre qu’il en est de même de la transmission de nos savoirs et de nos compétences. Et qui mieux que l’expert expérimenté peut assurer l’accompagnement de nos jeunes et nouveaux confrères ? Enseigner l’expertise judiciaire, c’est d’abord réfléchir à sa propre façon de conduire nos missions. C’est regarder de façon objective la pertinence de ses propres pratiques pour pouvoir les communiquer.

En matière sportive, l’éducateur, l’entraineur, le coach, est au début de sa carrière un grand champion ; il lui arrive même d’être encore sportif en activité et pratiquer en même temps l’entrainement de l’équipe dans laquelle il joue. Puis, ses facultés s’émoussant avec l’âge, il se consacre exclusivement au coaching, jusqu’à n’avoir plus aucune pratique, mais une très grande connaissance de son sport.

Rien de tel dans l’expertise. Grace à la permanence de nos actions d’échanges et de formation, notre pratique est sans cesse en évolution positive. Et nous pouvons être pour nos jeunes et nouveaux confrères des coachs en activité, en prise directe avec la réalité de notre fonction, et ainsi apporter notre grande expérience en partage. Et recevoir d’eux un regard distancié, une fraicheur que l’on peut avoir perdue, une motivation qui a pu s’émousser et des expériences issues de cas que l’on n’a jamais rencontré.

Mutualisons nos savoirs, il en restera toujours quelque chose pour tous. Et rappelons-nous ce que disait en fin de son mandat le dirigeant d’un club service international : il se peut que vous trouviez que j’aie un peu donné, mais soyez sûr que j’aie beaucoup reçu.


* Rappel des obligations de formation, définies lors du Comité de Pilotage du 29/11/2017 avec les magistrats de le Cour :

Pour un expert inscrit à titre probatoire ;

  • 1 formation annuelle à la procédure administrative
  • 1 formation annuelle technique dans son domaine de compétences

Pour un expert inscrit à titre quinquennal :

  • 2 formations à la procédure en 5 ans équitablement réparties sur la période
  • 1 formation annuelle technique dans son domaine de compétences